Fin 2012, la réalisatrice Laura Poitras reçoit un courriel crypté d’un certain Citizenfour – derrière ce pseudo se cache Edward Snowden, lanceur d’alerte qui s’apprête à révéler les abus du système de surveillance orchestré par la National Security Agency. Laura Poitras, accompagnée du journaliste Glenn Greenwald, rejoint Snowden à Hong Kong pour filmer ses révélations. De cette intrigue de polar est né “Citizenfour, un film fascinant, récompensé de l’Oscar du meilleur documentaire.
[mk2] Citizenfour achève votre trilogie sur les dérives de la guerre contre le terrorisme de l’après-11-Septembre. Vos travaux vous ont notamment valu d’être placée sur la liste de surveillance du département de la Sécurité intérieure des États-Unis.
[Laura Poitras] En 2006, j’ai fait My Country, My Country sur la guerre d’Irak parce qu’il m’a semblé que, en tant qu’artiste et citoyenne américaine, il était important de rendre compte de ce qui s’y passait. Il m’a ensuite paru évident que mon film suivant devrait s’intéresser à ce qui se passait à Guantánamo. Alors oui, les risques sont importants, mais beaucoup de gens prennent des risques. Les médecins qui soignent les malades d’Ebola, par exemple.
[mk2] Vous travailliez déjà sur un projet de film sur la surveillance de masse lorsqu’Edward Snowden vous a contactée. Pouvez-vous en parler ?
[Laura Poitras] Oui, depuis 2011, je m’intéressais à ces questions : que fait la NSA ? Qu’est-ce que la surveillance de masse ? Que peut le journalisme ?
J’avais le sentiment qu’après le 11-Septembre la plupart des médias américains étaient entrés en propagande, que l’on roulait pour la guerre en Irak, que l’on n’utilisait pas le terme « torture » pour décrire ce qui se passait… En 2011, les choses ont commencé à changer, on voyait davantage de journalistes dissidents comme Glenn Greenwald, mais aussi des lanceurs d’alerte qui sortaient de l’ombre pour dire : « Voilà ce qui se passe vraiment. » Comme je travaillais sur ces sujets, je n’ai pas été vraiment étonnée le jour où j’ai reçu un courriel crypté d’un inconnu qui se faisait appeler Citizenfour.
[mk2] C’est un pur scénario de thriller… À plusieurs reprises dans le film, on a en effet le sentiment de basculer dans la fiction.
[Laura Poitras] Oui, avec Glenn, on avait l’impression d’être en plein thriller d’espionnage. La dramaturgie se construisait d’elle-même. En seulement huit jours, on en apprend beaucoup sur les gens présents dans la pièce, et on découvre une histoire d’une ampleur dramatique rare… Je filme ce qui se passe sur l’instant, selon les règles du cinéma vérité. Je n’interviens pas sur la scène, je ne prends pas de décisions sur le décor. En arrivant dans la petite chambre d’hôtel, j’ai d’ailleurs été inquiète : comment allais-je réussir à filmer ? Puis j’ai compris à quel point cet espace était idéal pour mon film, notamment parce qu’un sentiment de claustrophobie s’en dégage.
(Propos recueillis par Juliette Reitzer)