La naissance du cinéma se conjugue souvent au masculin : Auguste et Louis Lumière, Georges Méliès, Thomas Edison, Charlie Chaplin. Ce que l’on sait moins – l’info reste aujourd’hui encore très confidentielle – c’est qu’avant 1925, la moitié des films étaient réalisés par des femmes. L’histoire, écrite par les hommes, a effacé celles qui bâtirent l’usine à rêves hollywoodienne au début du XXe siècle. Pourquoi cette amnésie collective, et comment la conjurer par de nouveaux récits ?
C’est le trajet, à la fois historique et militant, qu’emprunte ce documentaire pointu de Clara et Julia Kuperberg, deux réalisatrices françaises passionnées par l’âge d’or des studios. Elles y convoquent, à travers des images d’archives au grain nostalgique, toute une avant-garde féminine du cinéma muet : Lois Weber (inventrice du split-screen dans “Suspense”, en 1913) ; Anita Loos, romancière et scénariste de génie qui écrivit “Les hommes préfèrent les blondes”, adapté par Howard Hawks en 1953 ; Frances Marion, réalisatrice de nombreux polars, oscarisée en 1930 pour “Big House” ; Mary Pickford, cofondatrice de la société de production United Artists, qui milita pour l’égalité salariale dans les studios ; Lillian Gish, vedette de la MGM qui envoyait régulièrement balader D. W Griffiths, avec qui elle tourna “Naissance d’une nation” (1915) et une dizaine d’autres chefs-d’œuvre.
À travers leur trajectoire se dessine une réalité sociale oubliée. Si les femmes se sont emparées des plateaux de tournage, c’est que le cinéma, à ses balbutiements, était considéré comme un art marginal, un terrain de jeu expérimental et inoffensif. En 1927, lorsque “Le Chanteur de Jazz” ouvre l’ère du parlant, le 7e art devient une industrie lucrative – et par la même occasion, une affaire d’hommes. Désormais les femmes n’existeront presque plus que devant la caméra, au service d’un star-system glamour – jusqu’à aujourd’hui, où seuls 20% des films sont dirigés par des réalisatrices. Le combat est plus vif que jamais, semble nous dire, avec une joyeuse insolence, ce docu précieux.
– Léa André-Sarreau,
Journaliste, TROISCOULEURS