CLOSE-UP CLEMENT COGITORE

À l'occasion de la sortie de son nouveau film Goutte d'Or, rencontre avec Clément Cogitore, réalisateur et artiste polymorphe incontournable, qui nous fait découvrir deux de ses fascinants courts-métrages, "Parmi Nous" et "Un Archipel" (2011).

DANS VOTRE NOUVEAU LONG-METRAGE "GOUTTE D'OR" (SORTI LE 1ER MARS), LE PERSONNAGE INCARNE PAR KARIM LEKLOU SE RETROUVE CONFRONTE A UNE BANDE DE "MINEURS ISOLES" ORIGINAIRES DE TANGER. DANS VOTRE COURT-METRAGE "PARMI NOUS" (2011), ON SUIT UN CLANDESTIN KURDE QUI TENTE DE REJOINDRE L'ANGLETERRE DEPUIS LA FRANCE. QU'EST-CE QUI VOUS POUSSE A VOUS INTERESSER DE SI PRES A LA QUESTION MIGRATOIRE ET AU SORT DE CES INDIVIDUS EN ERRANCE ? Y-A-T-IL EU UN EVENEMENT DECLENCHEUR ?

Pour Parmi Nous, j’étudiais au Fresnoy-Studio national des arts contemporains, dans le nord de la France. Nicolas Sarokzy venait de fermer le camp de Sangatte qui, bien que surpeuplé et insuffisant, était le dernier lieu d’accueil et de soins dans le Nord pour les migrants qui tentaient de passer la frontière vers l’Angleterre. Quand on se rapprochait de la côte, le soir, les forêts étaient parcourues de silhouettes errantes qui cherchaient à embarquer dans les camions. Et des campements de fortune apparaissaient ça et là dans la forêt, pour former peu à peu ce que les migrants ont eux-mêmes nommé plus tard « la jungle ». Pour « Goutte d’Or » j’ai habité dans le quartier il y a assez longtemps, avec l’envie un jour de le filmer. Quand j’ai commencé à écrire, en 2016, le quartier était bousculé par l’arrivée de ces « mineurs isolés étrangers », issus des rues de Tanger avec qui ni les associations, ni les éducateurs ne parvenaient à créer véritablement de lien stable et à les protéger (et encore moins la police...). Ils s’étaient installés dans le square Bashung. Ca a duré quelques années, ils étaient là surtout l'été, avec des groupes assez mobiles, qui traversaient l’Europe et le quartier de la Goutte d’or était une des étapes. Dans les deux cas j’ai été confronté à ces trajectoires déracinées et errantes, et les personnages sont apparus ainsi dans les scénarios.

EN VOUS INTERESSANT A UNE PARTIE DU PARCOURS DE CES CLANDESTINS, VOUS LES FAITES EXISTER INDIVIDUELLEMENT, COMME POUR BRISER CETTE REPRESENTATION FLOUE ET INHUMAINE INDUITE PAR L'EXPRESSION "FLUX MIGRATOIRES". POURTANT, DANS "PARMI NOUS", LES PERSONNAGES NE SONT JAMAIS NOMMES. ET DANS "GOUTTE D'OR", LES "MINEURS ISOLES" CACHENT LEUR VRAI NOM POUR SE PROTEGER. EST-CE A DIRE QU'EN QUITTANT LEUR TERRE NATALE, CES INDIVIDUS PERDENT FORCEMENT UNE PARTIE DE LEUR IDENTITE ?