Le premier est déchiré par la violence de la corruption qui fait passer son village sous la coupe d’un entrepreneur crapuleux. Le second est un braqueur qui aime autant abattre que dépouiller ses victimes. La troisième est une maîtresse désespérant de devenir la régulière d’un homme lâche. Le dernier est un jeune travailleur précaire qui cherche une combine pour survivre.
Chaque personnage de ces histoires successives est le rouage d’une mécanique insupportable qu’il faut saboter par la violence, qu’elle soit vécue comme juste, perverse, salvatrice ou destructrice. Lors de la présentation de son film à Cannes en 2013 (Prix du meilleur scénario), le réalisateur nous expliquait: «Depuis trois ou quatre ans, en Chine, les médias rapportent des faits divers qui reflètent une très grande violence. L’épisode que je raconte dans la troisième partie du film, cette femme qui se fait frapper avec une liasse de billets, est celui qui a le plus choqué l’opinion publique, et qui a motivé mon film. La violence fait partie des sujets sensibles en Chine, mais je ne voulais pas m’auto-censurer en anticipant l’intervention des autorités. »
Des personnages qui, à force d’humiliations, refusent seuls de courber l’échine, c’est l’un des thèmes récurrents du genre wuxia pian, ce dérivé cinématographique d’une littérature populaire chinoise dans lequel le bien et le mal, le devoir et le désir sont opposés. De façon systématique, la montée en pression est mise en scène, jusqu’à ce que le réalisateur pique d’une aiguille la baudruche enflée de ressentiment qui éclate dans un souffle violent.
« J’ai pensé au roman Au bord de l’eau, écrit au XIVe siècle, dont les héros sont des brigands d’honneur. Chacun d’entre eux a une aventure propre, et les pressions qu’ils subissent et qui les poussent à la rébellion au XIIIe siècle sont les mêmes que celles de mes personnages aujourd’hui. Même si ces dernières années, les médias nous donnent accès à ces faits divers, je ne crois pas que cela va changer profondément les consciences. Beaucoup les voient comme au spectacle. C’est pour cela que je finis sur des visages qui regardent une pièce : la violence ne vient pas toujours de facteurs extérieurs, nous sommes peut-être chacun porteurs d’actes de violence. »
Cette « touche de péché », évoquée dans le titre, germe bien dans les individus, pas dans les rouages du système.
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Etienne Rouillon, TROISCOULEURS