Dans Chat noir, chat blanc, tout part constamment en vrille. La maison des personnages principaux, bicoque meublée d’objets plus kitsch les uns que les autres, semble avoir été construite au hasard au bord du Danube. Son équilibre plus que précaire induit l’idée que tout dans le film peut s’effondrer à chaque instant. La bande originale, composée par le groupe du réalisateur, le No Smoking Orchestra, mélange les genres musicaux et colle parfaitement à cette mise en scène débridée qui brille par son dynamisme et sa liberté.
Une multitude d’éléments surgit sans cesse à l’écran, contribuant à générer un joyeux bordel dans un rythme effréné. Oies, cochons, chèvres et chevaux cohabitent avec les humains dans des séquences à la photographie saturée et poisseuse. Les personnages sont trimbalés en permanence de droite à gauche, empruntant des moyens de transports allant de l’embarcation précaire à la plus luxueuse des limousines.
Entre Dadan, petite frappe locale cocaïnée qui se prend pour Tony Montana version gitan, une chanteuse de bar capable d’enlever des clous à la seule force de son postérieur, ou cette fanfare accrochée en haut d’un arbre, le réel est constamment mis à distance par une galerie de personnages exubérants, qui donnent au film une dimension poétique jubilatoire. Chat noir, chat blanc est une fable lyrique et allègre constamment dynamitée par des danses, des éclats de rires et des festivités.
Kusturica ne brosse pas la communauté gitane dans le sens du poil. Ici, quasiment tout est monnayable : 5 marks pour une corne, 300 pour un lave-linge et… 17 000 pour le mariage arrangé d’Ida, ou une annulation de dette pour celui de Zare. La réalité, souvent sordide, contrebalance en permanence l’enchantement du conte, donnant au film ce ton unique qui fait toute la saveur de la filmographie du franco-serbe.
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Hugues Porquier, mk2 Curiosity