Le blanc terrassant du soleil et le bleu réconfortant de la nuit : le road-trip de Gus Van Sant, premier opus d’une trilogie existentielle complétée par “Elephant” (2003) et “Last Days” (2005), oscille entre ces deux teintes. Une façon d’introduire le spectateur dans un univers épuré jusqu’à l’os, vidé de tout repère spatio-temporel, si ce n’est celui de l’alternance sommaire entre jour et nuit. C’est l’univers dans lequel évoluent les personnages de Matt Damon et Casey Affleck, deux amis prénommés Gerry lancés dans une traversée de la Vallée de la mort. Incapables de retrouver leur voiture, ils continuent à pied dans le désert californien…
En délestant son récit de toute psychologisation (que recherchent les personnages ? qui sont-ils l’un pour l’autre ?), Gus Van Sant démontre son génie de plasticien. Ici, l’errance n’est pas conceptuelle, elle s’éprouve à l’écran. Malgré sa froideur formelle, son dénuement, “Gerry” regorge de détails qui mettent à l’épreuve l’endurance du spectateur. C’est une bande-son assourdissante – les rafales indifférentes du vent, les chants d’oiseaux de mauvais augure -, des travellings étirés qui dilatent le temps, des contre-plongées vertigineuses qui transforment les personnages en colosses aux pieds d’argile.
On serait facilement tenté de réduire le film à sa filiation beckettienne, en y lisant une variation expérimentale sur la recherche d’un absolu qui conduirait tout droit à la mort, une relecture biblique de la traversée du désert, dans laquelle les dieux seraient morts. Mais à l’aune de ses suites informelles, “Elephant” et “Last Days”, “Gerry” nous apparaît plutôt comme une étude du mystère adolescent, avec tout ce qu’il comprend d’idéalisme et de rêves brisés.
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Léa André-Sarreau, journaliste, TROISCOULEURS