Jour de colère (1943), adaptation de la pièce Anne Pedersdotter de Hans Wiers-Jennsen, signe, après plus de 10 ans d’arrêt, le retour derrière la caméra du plus grand cinéaste danois, Carl Theodor Dreyer. Cette interruption est due à l’échec commercial du génial Vampyr (1932) - qui deviendra avec le temps une œuvre majeure de l’histoire du cinéma.
Comme un écho à La Passion de Jeanne d’Arc (1928), Jour de colère s’ouvre et se clôt sur des procès pour sorcellerie. Ces jugements arbitraires, dictés par le fanatisme religieux et la supériorité décrétée de l’homme sur la femme, plantent le décor d’un film centré - comme souvent chez Dreyer - sur la foi.
Cinéaste des visages, le Danois capture avec des plans serrés le désarroi d’Anne, jeune femme mariée de force à un pasteur de 40 ans son aîné, et soumise au comportement autoritaire de la mère de ce dernier.
Le cadre s’élargit subitement lorsqu’Anne découvre ses pouvoirs de sorcière, et tombe amoureuse de Martin, le fils de son mari. On passe des intérieurs étouffants de l’austère presbytère à des plans larges sur deux jeunes amoureux qui flirtent au milieu des vergers. Cette représentation picturale d’un amour salvateur semble tout droit sortie d’un tableau de Rembrandt.
Selon ses mots, Dreyer cherche par ces plans épurés à se rapprocher de la “vérité artistique” - en opposition au naturalisme. Le cinéaste réussit à créer un univers crédible, dans lequel le mysticisme émanant de la foi religieuse devient palpable. Un monde dirigé fermement par les hommes, où la sorcellerie apparaît pour les femmes comme le seul moyen de s’émanciper.
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Hugues Porquier, mk2 Curiosity