Avec Juste la fin du monde, adaptation de la pièce du même nom de Jean-Luc Lagarce, auréolé du Grand prix à Cannes, Xavier Dolan nous convie à un fracassant huis clos familial dans lequel tout le monde a son mot à dire mais personne n’est prêt à entendre. À l’approche de sa propre mort (on ne sait pas vraiment de quoi il décédera), Louis (Gaspard Ulliel, sobre et fantomatique) rend visite à sa famille qu’il n’a pas vue depuis douze ans. Il n’exprime pas ses motivations : peut-être veut-il tout simplement partir en paix.
Louis écoute et regarde, il n’arrive pas à parler. À chaque fois qu’il est sur le point de s’exprimer, on lui coupe la parole. La réunion de famille est source d’un vacarme que Dolan ne cherche absolument pas à brider. C’est comme si la mère très excentrique (Nathalie Baye, à la fois grotesque et géniale), la sœur revêche (Léa Seydoux), le frère au tempérament sanguin (Vincent Cassel) et la belle-sœur effacée (Marion Cotillard) cherchaient tous à noyer le poisson.
Dolan matérialise le conflit à travers une mise en scène abrupte et très sensorielle. Quand débute le film, le débit de parole est infernal, le montage est haché, les acteurs sont isolés dans des gros plans, tandis que le son paraît cradingue – autant de marqueurs de
l’incapacité des personnages à s’entendre. Ici, personne ne semble accorder d’importance à
la substance de ce qui est dit: il faut remplir les blancs, s’agiter le plus possible pour éviter
d’aborder l’essentiel. Dolan filme le non-dit, l’incommunicabilité, et, paradoxalement,
il charge son film de dialogues qui, sans en avoir l’air, sont tous plus toxiques et insidieux les uns que les autres.
Avec une âpreté proche de celle de son Tom à la ferme (qui déjà, en 2013, se déchargeait des effets pop de son cinéma – réduits ici à quelques séquences, notamment des flash-back très stylisés), Dolan, à travers cette famille qui se délite, s’impose une nouvelle fois comme un dialoguiste subtil, mais surtout comme un habile portraitiste d’écorchés vifs hâbleurs et de perdants au verbe haut.
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Quentin Grosset, TROISCOULEURS