LE CLAIR DE TERRE

  • France
  • 1970
  • 98 min
  • VF
  • Tout Public
  • Drame
  • Comédie
  • Synopsis
Redécouvert sur le tard, Guy Gilles (1938-1996) a traversé l’histoire du cinéma français en solitaire. Proche de la Nouvelle Vague à ses débuts (il a assisté Jacques Demy sur « La Luxure », sketch des Sept Péchés capitaux, film collectif sorti en 1962), il a aussi, dans les années 1970, fréquenté la bande des productions Diagonale (Paul Vecchiali, Marie-Claude Treilhou…), avant de tracer sa route hors des collectifs, signant une œuvre pleine de sensualité et de nostalgie (...)

Le Clair de terre, son troisième long-métrage, reçoit le Grand-prix du festival de Hyères. Patrick Jouané, son acteur fétiche, y partage l’écran avec Edwige Feuillère et Annie Girardot. Noyant les visages de ses acteurs dans une constellation d’images plus belles les unes que les autres, alternant très gros plans et plans d’ensemble, c’est une ode à l’émotion retenue que nous offre Guy Gilles.

  • Notre avis
En astronomie, le clair de Terre renvoie, selon le dictionnaire, à « l’éclairement de la Lune ou d’un objet dans l’espace par la lumière solaire renvoyée par la Terre ». La fusion entre la mélancolie froide de la lune et le rayonnement chaud du soleil pourrait métaphoriser l’œuvre de Guy Gilles (L’Amour à la mer, 1965 ; Au pan coupé, 1968), cinéaste longtemps méconnu, naviguant hors des mouvements de l’époque, et mort en 1996 sans avoir obtenu la reconnaissance méritée. L’image fonctionne particulièrement avec ce troisième long métrage, qui tire le portrait de Pierre, un jeune Français dont la famille a quitté la Tunisie pour l’Hexagone, alors qu’il était âgé de 6 ans. Incarné par le fascinant Patrick Jouané (acteur et amant de Guy Gilles, qui jouera souvent dans ses films), ce jeune homme taciturne à l’aura rebelle et trouble souffre encore de la perte de sa mère. 

Sans but, il décide de retourner de l’autre côté de la Méditerranée… Dès l’ouverture du film, on ressent instantanément la nostalgie douce et dédaléenne du récit – ponctué de ritournelles musicales composées par le cousin de Guy Gilles, Jean-Pierre Stora, de répétitions et de va-et-vient – et la vitalité irradiante de la mise en scène (plus découpée et colorée que dans les précédents films du réalisateur). Un diaporama enchaîne rapidement des images de cartes postales jaunies d’Algérie, de Tunisie, sur une musique parigote désuète. Peu après, une guide touristique fait visiter le quartier parisien du Marais, « sauvé de justesse de la pioche des démolisseurs ». La déambulation est au cœur du Clair de terre. Mais, à l’inverse d’un touriste, Pierre, qui n’a pas d’emploi et n’a, de son propre aveu, « jamais travaillé », ne se laisse guider par personne. On dirait plutôt qu’il se laisse porter par un élan intérieur, impérieux et mystérieux, qu’on sent sensiblement identique à celui qui habitait Guy Gilles.

Sans faire exception à une règle tacite qui relie les œuvres du cinéaste, Le Clair de terre casse le principe d’une narration trop lisse, et s’agrippe à l’idée d’errance continue (et salvatrice) : se déplacer – s’arrêter et repartir plusieurs fois – permet de ne pas se fixer sur la mélancolie. Avant de prendre le bateau pour la Tunisie, Pierre baguenaude dans la capitale : il salue des amis aux Tuileries ; emprunte de l’argent à un éditeur et à une antiquaire qu’il connaît bien ; dit au revoir à son père, encore traumatisé par la mort de son épouse et par l’exil forcé qu’il a vécu ; traîne sur un pont où chante un groupe et le quitte subitement en courant, les larmes coulant sur son visage. Dernier détour avant le grand départ : à Deauville, il retrouve Maria (Annie Girardot), une musicienne proche de ses parents. Il y a donc ce déplacement physique de Pierre, ces marches et rencontres qui retardent ses départs – de Paris, puis, plus tard, de Tunisie.


Joséphine Leroy, TROISCOULEURS