Avant d’acquérir une réputation internationale et de susciter avec ses films parlants l’admiration des plus grands, de Charles Chaplin à Sergueï Eisenstein, René Clair signe plusieurs pépites muettes, d’une inventivité et d’une modernité bluffantes. C’est le cas du Fantôme du Moulin-Rouge (1925).
Proche du dadaïsme et du pré-surréalisme, René Clair est un cinéaste de l’avant garde, aux côtés de ses contemporains Germaine Dulac, Abel Gance, Marcel L’Herbier et Louis Delluc. Nourris par l’influence du réalisateur Louis Feuillade - chez qui il débute en tant qu’acteur dans L’Orpheline (1908) - les premiers films de René Clair, dont fait partie ce Fantôme, sont déjà très marqués par le “réalisme poétique”, style qui fera le succès du cinéaste dans les années 1930.
Des éléments fantastiques - une séance de magnétisme, l’apparition du fantôme… - viennent bousculer un récit ancré avec force dans le réel : déception amoureuse, mariage forcé et jeux de pouvoirs entre puissants. Le film offre une plongée fascinante dans le Paris des années 1920, ses intérieurs haussmanniens, l’exaltation fiévreuse d’une soirée dans le fameux Moulin Rouge, les rues pavées et leurs silhouettes aux chapeaux haut de forme.
Pour représenter les errances fantomatiques de son personnage, le cinéaste fait le choix de la surimpression - un procédé photographique adapté par George Méliès pour le cinéma - qui consiste à superposer deux prises de vues. Libéré des tourments de sa vie de mortel, notre fantôme plane littéralement au-dessus des grands boulevards parisiens, et terrorise gentiment les passants. Cette séquence onirique, d’une liberté folle, préfigure le dynamisme et la réjouissante impression de légèreté qui se dégage de l’oeuvre à venir de René Clair, d’À nous la liberté (1931) à La Beauté du diable (1950).
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Hugues Porquier, mk2 Curiosity