Largement reconnu pour ses documentaires, notamment Adolescentes (2019) ou Petite fille (2020), Sébastien Lifshitz a également fait de brillantes incursions du côté de la fiction. Couronné du prix Jean Vigo et du prix Kodak du court métrage à Cannes en 1998, son moyen métrage Les Corps ouverts marque la première apparition au cinéma de Yasmine Belmadi - jeune acteur prometteur qui a notamment tourné chez François Ozon dans Les Amants criminels (1999) - décédé en 2009 à l’âge 33 ans.
Rémi, 18 ans, fils d’un père immigré, découvre son homosexualité au fil de ses errances dans le Paris des années 1990. Malin, Lifshitz ne tombe pas dans les écueils fréquents des récits initiatiques pour nous offrir un film queer et fascinant.
Le cinéaste met en place une temporalité décousue, qui rappelle L’Année dernière à Marienbad (1961) d’Alain Resnais. Cette déconstruction narrative crée une sensation de flottement mélancolique et trouble la frontière entre réalité et fiction. Lifshitz retranscrit ainsi subtilement le désordre de la psyché du jeune homme. Au cours des déambulations entre son lycée, les cinémas porno et les fourmillantes rues parisiennes, Rémi rencontre au centre du film un cinéaste qui lui promet un rôle dans sa prochaine réalisation. On se souvient alors d’une des premières scènes des Corps ouverts, celle de la séparation à venir entre Rémi et cet homme.
Lifshitz, comme animé par l’émouvante interprétation de Yasmine Belmadi, cadre son personnage sous tous les angles, du plan d’ensemble au très gros plan, en plongée ou contre-plongée. Le moindre grain de peau du jeune Apollon taciturne devient familier. Ce personnage complexe, submergé par la disparité des différents rôles qu’il doit assumer - étudiant dissipé, acteur à la marge, grand frère protecteur, amant indécis - se perd entre une virilité feinte et une sensibilité qu’il peine à maîtriser.
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Hugues Porquier, mk2 Curiosity