C’est peut-être l’un des films les plus beaux et tristes du monde. Dans Les Parapluies de Cherbourg, Jacques Demy retrace l’histoire d’amour heurtée entre Geneviève, fille d’une marchande de parapluies sans le sou et Guy, un garagiste mobilisé pour la guerre d’Algérie – conflit que le cinéma français a finalement peu abordé…
Fan de comédies musicales hollywoodiennes depuis toujours, Demy était frustré que le genre n’ait jamais vraiment pris en France. Qu’importe, en collaborant avec le compositeur Michel Legrand qui l’a convaincu de s’embarquer dans ce projet haut perché qui révéla Catherine Deneuve et fut couronné d’une Palme d’or, il a inventé son propre dérivé français, le film « en-chanté ».
Demy y pose les marques de son monde de rendez-vous manqués, d’érotisme pluvieux et marin, de personnages chantant mais résignés, comme Roland Cassard, le doux rêveur de Lola devenu une sorte d’homme d’affaires un peu strict. Sous les atours légers d’un premier amour qui semble léviter dans le décor fantasmatique de Bernard Evein, Demy exacerbe les passions à coups d’excès et d’artifice, parti-pris trompeur qui nous avait d’abord laissé penser à une partition sucrée, alors même que ce film faussement émerveillé ne parle que de l’horreur de la guerre, de la solitude, du temps qui a passé, des illusions perdues. Demy creusera encore cette veine sombre dans le très politique Une chambre en ville (1982), son deuxième film en-chanté sur fond de lutte des classes, de violences conjugale et policière, et de suicide, dans lequel il affirmait son sens de la démesure et du tragique.
Quentin Grosset, TROISCOULEURS