Jeune trentenaire, Gus Van Sant bosse dans une agence de pub à Los Angeles pour se faire un peu d’argent. Il retourne à Portland, où il a grandi, pour tourner son premier long métrage, adapté d’un roman semi-autobiographique du peintre et poète Walt Curtis, figure de cette ville de l’Oregon.
Tourné avec un budget dérisoire de 22 000 $, Mala Noche sort de manière confidentielle. Il circule dans des réseaux gays aux Etats-Unis et dans quelques autres pays. Il faut attendre sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 2006 pour qu’il connaisse enfin, 20 ans après sa réalisation, une sortie digne de ce nom. On découvre alors un film totalement hypnotisant, chef-d’œuvre originel du cinéaste et joyau du ciné indé américain.
Hypnotisant, d’abord, par ses audaces visuelles, pour lesquelles Van Sant met à profit l’expérience acquise dans le tournage de publicités. Par manque de moyens, il tourne en 16mm, sans couleurs. Le noir et blanc, qu’il considère comme le symbole d’une “rencontre de la peau sombre et de la peau blanche”, lui convient parfaitement pour ce film. Les éclairages publics remplacent les projecteurs. Parfaitement maîtrisée, cette lumière si singulière et mystérieuse, qui passe du très sombre au très lumineux, fait aussi la force d’un film qui nous emporte dans le rêve.
Hypnotisant, aussi, par le son, que Van Sant a choisi de peaufiner avant la ressortie. Lui-même musicien, il est un adepte des soundscapes (“paysages sonores” composés à partir des bruits d’un lieu), et laisse dans Mala Noche beaucoup de place aux bruitages pour un effet très immersif. La voix-off du personnage principal, les refrains et la guitare forment comme une douce et très longue chanson qui nous berce tout le long du film.
Hypnotisant, enfin, par son scénario. Recourant parfois à l’ellipse, Gus Van Sant s’intéresse avant tout aux visages, beaux et inoubliables, à des moments et à des ambiances, pour raconter en creux ce territoire : la marginalisation de l’homosexualité, l’immigration, la barrière de la langue et le mal de vivre des déshérités.
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Agathe Wippler, mk2 Curiosity