Après avoir perdu un pari, Matthias (la révélation Gabriel D’Almeida Freitas, tout en retenue) et Maxime (Dolan lui-même, dans une composition sensible) doivent échanger un baiser devant la caméra d’une amie étudiante en cinéma – geste a priori anodin qui va pourtant les amener à redéfinir toute leur relation. «C’est plus profond qu’une expérience qu’on va laisser derrière soi», nous avait confié Dolan. Les désirs réprimés, les corps qui s’attirent de manière impérieuse…
Pour son huitième film, le cinéaste canadien retrouvait les problématiques intimistes qui lui sont chères, pour les installer dans un film de bande frénétique et remuant, s’approchant, caméra à l’épaule, d’un clan de jeunes surexcités au seuil de la trentaine. Dolan livre ainsi une vraie lettre d’amour à ses amis (on retrouve dans le film ses acteurs fétiches comme l’actrice Anne Dorval, ses collaborateurs fidèles comme le chef opérateur André Turpin, et toute une clique de jeunes comédiens québécois inconnus mais proches du cinéaste), dans des décors qu’il connaît bien, cherchant peut-être une intimité qui lui a manqué sur le tournage de son film précédent, Ma vie avec John F. Donovan, tourné en anglais avec un casting de stars.
On est ainsi saisis par la douceur et la sérénité qui émanent de Matthias et Maxime, dans lequel, malgré l’introspection tourmentée des deux héros, le groupe ne constitue jamais un obstacle à la possibilité de leur idylle. «Ce n’est pas une meute. La chaleur de ces gens contraste avec le désamour de Matthias par rapport à lui-même.» À ce soin de filmer ses proches avec bienveillance s’ajoute visiblement l’envie de renouer avec un certain dépouillement formel, Dolan semblant ici plus que jamais faire confiance à la force d’incarnation naturaliste de son cinéma. Son esthétique se fait plus discrète et suave : elle s’inspire notamment des couleurs pastel et des lumières du livre de photos Looking for Alice de Sian Davey publiée en 2015, dans lequel l’artiste regardait grandir sa fille trisomique avec un regard empli de tendresse.
Avec la même simplicité, le cinéaste délaisse les effets spectaculaires pour se concentrer avant tout sur les visages. Dans le chaos ambiant, il se recentre sur l’émotion contenue dans le moindre tremblement de lèvres, dans une œillade fuyante, dans un geste fragile et hésitant. C’est peut-être dans cette légèreté d’approche que Dolan trouve l’assurance nécessaire pour sonder si finement les mouvements secrets entre le tumulte et le silence.
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Quentin Grosset, TROISCOULEURS