NOSFERATU LE VAMPIRE

  • Fantastique
  • Horreur
  • Synopsis

En 1838, Thomas Hutter, commis d’agent immobilier, quitte sa jeune femme Ellen pour le château du comte Orlok dans les Carpates. Là-bas, Hutter découvre que le comte est en fait Nosferatu le vampire et est victime des morsures répétées du monstre. Celui-ci quitte son château dans un cercueil rempli de terre et, après un voyage en voilier au cours duquel il décime l'équipage terrorisé, va prendre livraison de sa nouvelle demeure, située face à celle de Hutter et Ellen…

  • Notre avis

« Une symphonie de l’horreur » : le sous-titre de Nosferatu le vampire offre un éclairage terriblement efficace et original à ce monument du muet, si commenté qu’il est parfois difficile d’y revenir avec un œil et des mots neufs. Symphonie parce que malgré son absence de dialogue, la partition sépulcrale de Hans Erdmann le place immédiatement du côté de forces obscures que le spectateur ne discerne pas encore mais ressent via des percussions lugubres. Horreur parce qu’il s’agit surtout, derrière sa veine fantastique – le film est d’ailleurs considéré comme le premier du genre -, d’un récit sur les pulsions de désir et de mort inavouées qui sommeillent en chacun.

Première adaptation officieuse – et illicite, Murnau n’ayant pas obtenu les droits – du Dracula de Bram Stoker paru en 1897, le film raconte l’histoire d’un jeune clerc de notaire, Hutter (Gustav von Wangenheim), envoyé en Transylvanie pour conclure une affaire avec le comte Orlock (Max Schreck), connu pour terrifier les habitants locaux. Bientôt, l’étrange hôte tombe sous le charme d’Ellen, la fiancée d’Hutter, dont il a vu le portrait, et une traque sanguinaire commence…

D’emblée, Murnau inscrit son film dans un expressionisme bien à lui, perturbant de réalisme malgré ses outrances visuelles. Loin des décors tournés en studios du Docteur Caligari (1919) de Robert Wiene, ouvertement baroques, le réalisateur choisit la région montagneuse des Carpates pour jeter le personnage d’Hutter dans un enfer de ravins filmés de près, de branches qui obstruent l’écran, de ruines escarpées – et qui deviendront sa tombe.

Une fois posé ce cadre naturaliste, le réalisateur fait glisser son récit vers une stylisation de plus en plus étouffante, grâce à la photographie de Fritz-Arno Wagner : des jeux de clairs-obscurs marquent l’entrée au « pays des fantômes » sur lequel règne le comte Orlock, qui apparaît plus souvent comme une ombre projetée sur les murs que comme un être de chair et de sang, malgré son appétence pour l’hémoglobine. Jusqu’à cette scène inoubliable où l’ombre de la main de Nosferatu se pose sur le cœur d’Ellen comme pour le broyer, avant l’ultime morsure au cou qui trouble définitivement la limite entre le plaisir et l’horreur.

Outre ses qualités de mise en scène, qui feront l’admiration des surréalistes – André Breton et Georges Sadoul notamment -, le film est aussi la chronique d’une petite ville de province dans ce qu’elle a de plus médiocre, avec ses comptables pathétiques, ses commères intolérantes qui rejette la différence. Là où, au contraire, le propos et les images de Murnau se situent toujours au carrefour du bien et du mal, multipliant les profondeurs de champ, les contrepoints et la polyphonie des points de vue pour nous dire que les monstres sont à côté, mais surtout en nous.

Léa André-Sarreau, TROISCOULEURS

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