[mk2 Curiosity] Les titres de vos deux films, “Hunger” et “Shame”, se répondent. Les avez-vous pensés comme un diptyque ?
[Steve McQueen] Pas exactement. Dans “Hunger”, Bobby [Sands] se prive de nourriture pour créer les conditions de sa liberté à l’intérieur d’une prison. Dans “Shame”, au contraire, Brandon se croit libre en multipliant les relations sexuelles, mais, ce faisant, il crée sa propre prison mentale. Il s’agit, dans les deux cas, d’autodestruction, mais chacun utilise son corps à des fins opposées.
[mk2.C] « J’envisage l’écran comme un miroir», nous disiez-vous il y a trois ans. Est-ce toujours le cas ?
[S.M] Absolument. Les spectateurs doivent se reconnaître à l’écran. J’aimerais que “Shame” fasse sur son public un effet semblable à celui du sifflement du maître sur son chien.
[mk2.C] « L’art est une manière d’organiser la forme », déclariez-vous également. Il y a beaucoup d’échos visuels, narratifs et musicaux dans “Shame”. Pourquoi ?
[S.M] Parce que nous répétons sans cesse les mêmes gestes ! La mise en scène doit servir au mieux le scénario, même si ce sont deux choses distinctes à mes yeux. Par exemple, “Shame” commence par une plongée parce que Brandon est allongé, pensif, sur un lit. Puis l’on découvre ce qui s’est passé avant, et qui se passe chaque matin : il se lève, urine, prend une douche, etc. Le film s’ouvre sur l’idée de rituel. Ce rituel aide à définir le personnage, qui lui- même dicte la grammaire visuelle.
[mk2.C] Pourquoi avoir tourné “Shame” à New York ?
[S.M] Je voulais faire le film à Londres, mais la notion d’addiction sexuelle y est taboue. Abi Morgan, la coscénariste, et moi sommes donc allés à New York, où nous avons rencontré des spécialistes du sujet. Nous avons pu dialoguer avec certains de leurs patients. Après leurs « sexcapades », ils nous disaient se sentir honteux ; et pour se sortir de ce sentiment de honte, ils plongeaient à nouveau dans le sexe ! C’est un cercle vicieux, un rituel pervers.