Dès ses 6 ans, Buster Keaton foulait les planches du music-hall, entouré de sa famille d’artistes. Il se distingue très vite par ses capacités physiques hors-normes, qu’il exploite dans des cascades époustouflantes, jamais truquées, et souvent tournées du premier coup. Il estimait en effet que tourner plusieurs fois la même prise nuisait à l’authenticité.
Dans Sherlock Junior, le héros - joué par Keaton lui-même comme toujours dans ses films - est projectionniste dans un cinéma. Il s’endort, rêve de traverser l’écran et le miracle se produit. Cet effet délicieux de film dans le film est alors une première au cinéma. Woody Allen en reprendra notamment l’idée en 1985 dans La Rose pourpre du Caire.
Dans la vraie vie, l’apprenti détective n’arrive à rien. Mais son double de fiction est un enquêteur de génie, qui s’engage dans une course-poursuite absolument improbable, sur des véhicules de plus en plus loufoques. Les cascades, d’une minutie encore inégalée aujourd’hui, sont devenues mythiques. L’une d’elles - son passage sous le jet d’eau - a carrément cassé le cou de Keaton, qui réalise lui-même ces acrobaties. Sans s’en rendre compte, il a continué le tournage tranquillement.
Surnommé “L’homme qui ne rit jamais”, Keaton, avec son air impassible, nous fait rire du début à la fin, d’un humour subtil et redoutablement efficace. Mêlant onirisme, mise en abyme et burlesque, Sherlock Junior demeure une de ses œuvres les plus poétiques et intelligentes. Génie comique et narratif, il a inspiré des cinéastes aussi variés que Walt Disney, Orson Welles, Jean-Luc Godard ou Steven Spielberg.
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Agathe Wippler, mk2 Curiosity