TARTUFFE

  • Comédie dramatique
  • Synopsis
Un vieux et riche bourgeois vit seul avec sa logeuse, une mégère assoiffée d'héritage qui lui fait impudemment la cour. Le petit-fils du vieillard compte bien ouvrir les yeux à son grand-père. Il se déguise en producteur de spectacle, et leur projette un film : Tartuffe.
  • Notre avis
En 1926, le génie Murnau livre son interprétation de Tartuffe, déjà la troisième au cinéma, qui prend pour la première fois une liberté malicieuse avec la pièce de Molière. Ce n’est pas directement l’histoire de cet hypocrite mythique. C’est d’abord celle d’un vieil homme séduit par sa servante, Tartuffe au féminin, qui souhaite récupérer son héritage. On montre au vieillard une adaptation filmée de Tartuffe, pour lui faire comprendre qu’il est lui-même dupé. La mise en abyme est doublée de façon très astucieuse : nous sommes pris à partie de la même façon que les spectateurs dans le film. Et si c’était notre propre voisin qui nous trompait ?

La pièce offre déjà une belle réflexion sur le déni et la pression sociale. Mais le film dépasse cette leçon donnée par Molière et questionne l'influence des récits, et en particulier du cinéma, sur nos croyances et nos actions. Le cinéaste allemand rapproche le dramaturge français et son homologue britannique, s’inspirant de Hamlet de Shakespeare. Une pièce où l’art de la représentation se révèle de la même façon d’une utilité très concrète, celle de faire tomber les masques.

Une fois de plus, le réalisateur de Nosferatu et de L’Aurore nous captive par une histoire simple et marquante, grâce à l’expressivité des acteurs - héritage du théâtre, le premier amour de Murnau - à un éclairage ultra maîtrisé - parfait exemple de l’expressionnisme allemand, dont le cinéaste est le plus illustre représentant sur grand écran - et à la vivacité du montage.
La réussite du film vient aussi du casting. Dans le rôle de Tartuffe, l’immense Emil Jannings, qui avait déjà joué dans le Dernier des hommes de Murnau, et, dans celui de la gouvernante, Rosa Valetti, grande artiste de cabaret et chanteuse célèbre en Allemagne. À la direction de la photographie, on retrouve Karl Freund, à qui l’on doit notamment le chef-d’œuvre Metropolis de Fritz Lang.

Murnau maîtrise si bien l’art du récit que les intertitres en deviennent presque inutiles. L’intrigue de Tartuffe est largement simplifiée pour gagner en efficacité. Les personnages sont moins nombreux, et donc mieux développés. On se régale devant les manigances élaborées, jouées ou déjouées les unes après les autres. Murnau s’en amuse et nous amuse. Avec humour et modernité, il forme une morale universelle sur la naïveté, et un film parlant ne nous l’aurait pas mieux dit.

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Agathe Wippler, mk2 Curiosity