« Combien il m’aura fallu d’années, de décennies pour aimer le Pianiste ! C’est que je n’y comprenais rien. Je croyais que les films noirs français m’ennuyaient un peu. Et un jour, je me suis laissé emporter par cette vague d’inventions cinématographiques, Truffaut invente à chaque plan. Une leçon de liberté. « Le plus godardien des Truffaut », comme dit Nicolas Saada, et il a mille fois raison.
Un film noir ? Ce sont d’abord trois portraits admirables de femmes, Marie Dubois au plus haut, Michèle Mercier et son insolence formidable, Nicole Berger dévastée. Le charme d’Aznavour enfin, sa fragilité, ce gros plan du anti-héros à son piano droit : « J’ai peur… Oui, j’ai peur »…
La preuve ? Marie Dubois et Aznavour marchent dans la rue la nuit, il voudrait lui prendre la main… Allons, encore une scène, une seule ! Plus tard, ils rejoindront la chambre de la jeune femme. Panoramique autour de la chambre, modestie, vaillance, la musique de Delerue. Enfin, les deux sont au lit. Montage insensé de leurs confidences dans les draps blancs, le temps semble sans limite. Beau à pleurer.
La virtuosité de Truffaut éblouit, c’est un film échevelé. Et pourtant il fut mal reçu à sa sortie, trop de changements de ton. Nous ne savons plus sur quel pied Truffaut nous fait danser. Il avait eu cette phrase stupéfiante : « Avec Le Pianiste, je voulais faire pleurer les femmes et rire les hommes ». Je ne sais pas si je ris encore aujourd’hui, mais je me découvre dans la timidité de son héros. Je voudrais savoir ôter la culpabilité de ses épaules. Rien à faire, après un début de fantaisie, le film courra au mélodrame.
Ces jours derniers où je révisais le film, j’ai été sidéré. Une affaire, le film dont je viens de terminer le tournage à Lyon avec François Civil, Nadia Tereszkiewicz et Charlotte Rampling, est une histoire de pianistes. Non ?! J’avais donc été hanté si longtemps à mon insu par le pianiste de Truffaut ?! Je n’en revenais pas ! »