Un an après Les 400 coups, film emblématique des débuts de la Nouvelle Vague, François Truffaut fait un pas de côté avec Tirez sur le pianiste (1960), son deuxième long métrage. En en reprenant certains codes, Truffaut dévoile toute sa passion pour les films noirs américains, notamment ceux d’Alfred Hitchcock, réalisateur adoré auquel il consacre quelques années plus tard le célèbre livre d’entretien Hitchcock/Truffaut (1966).
A la suite d’un tragique événement, Charlie, ancien pianiste virtuose joué par Charles Aznavour, abandonne la célébrité pour devenir pianiste dans un bar de quartier, sous un faux nom. Un soir, son frère Chico, poursuivi par des brigands, lui demande de l’aide. Malfrats, fatalité, flashback, les éléments du film noir sont bel et bien réunis. Truffaut adapte toutefois le roman éponyme de l’Américain David Goodis en y ajoutant une belle dose d’humour et de romantisme. Il déconstruit astucieusement les codes du genre pour mieux surprendre le spectateur.
Violents et déterminés, les gangsters n’en restent pas moins sympathiques, participant pleinement de la dimension comique du film. La moue nostalgique et fragile de Charles Aznavour, appuyée par un monologue intérieur récurrent à la deuxième personne, trahit les doutes et la timidité de celui qui refuse d’endosser le costume du héros à l’américaine. À l’instar de Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups, le comportement inattendu et étrangement réaliste du personnage de Charlie déboussole. En racontant le destin de ce pianiste déchu, Truffaut fait sans doute part de ses propres doutes quant à sa carrière de cinéaste, notamment la crainte de perdre la célébrité acquise après le succès de son premier film.
Truffaut signe également là un bel hommage à la nuit parisienne, ses bars dansants et ses airs de jazz, grâce à la photographie en noir et blanc de Raoul Coutard. Un parfait mélange entre les images des films américains de Hitchcock ou Preminger, et l'expressionnisme allemand de Murnau ou Lang. La photographie évolue du noir des nuits parisienne vers le blanc éclatant de la neige du Sappey-en-Chartreuse, près de Grenoble. Ce contraste matérialise le parcours de Charlie, qui recouvre petit à petit sa véritable identité pour se confronter de nouveau à la lumière du présent.
Hugues Porquier, mk2 Curiosity