TIREZ SUR LE PIANISTE

  • France
  • 1960
  • 81 min
  • VF
  • Tout Public
  • Drame
  • Synopsis
Qui est Charlie Kohler ? On sait qu’il est le pianiste du bistrot de Plyne, et puis ? Il a trois frères : Chico, Momo et le petit Fido – qui ont bien souvent des ennuis avec les truands. La serveuse du bar, Léna, est quant à elle amoureuse de Charlie et sait parfaitement qu’il se nomme Edouard Saroyan, qu’il a été un célèbre virtuose et qu’il a tout abandonné après le suicide de sa femme. Léna veut aider Charlie et c’est là que les ennuis commencent…
  • Notre avis
Un an après Les 400 coups, film emblématique des débuts de la Nouvelle Vague, François Truffaut fait un pas de côté avec Tirez sur le pianiste (1960), son deuxième long métrage. En en reprenant certains codes, Truffaut dévoile toute sa passion pour les films noirs américains, notamment ceux d’Alfred Hitchcock, réalisateur adoré auquel il consacre quelques années plus tard le célèbre livre d’entretien Hitchcock/Truffaut (1966).

A la suite d’un tragique événement, Charlie, ancien pianiste virtuose joué par Charles Aznavour, abandonne la célébrité pour devenir pianiste dans un bar de quartier, sous un faux nom. Un soir, son frère Chico, poursuivi par des brigands, lui demande de l’aide. Malfrats, fatalité, flashback, les éléments du film noir sont bel et bien réunis. Truffaut adapte toutefois le roman éponyme de l’Américain David Goodis en y ajoutant une belle dose d’humour et de romantisme. Il déconstruit astucieusement les codes du genre pour mieux surprendre le spectateur.

Violents et déterminés, les gangsters n’en restent pas moins sympathiques, participant pleinement de la dimension comique du film. La moue nostalgique et fragile de Charles Aznavour, appuyée par un monologue intérieur récurrent à la deuxième personne, trahit les doutes et la timidité de celui qui refuse d’endosser le costume du héros à l’américaine. À l’instar de Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups, le comportement inattendu et étrangement réaliste du personnage de Charlie déboussole. En racontant le destin de ce pianiste déchu, Truffaut fait sans doute part de ses propres doutes quant à sa carrière de cinéaste, notamment la crainte de perdre la célébrité acquise après le succès de son premier film.

Truffaut signe également là un bel hommage à la nuit parisienne, ses bars dansants et ses airs de jazz, grâce à la photographie en noir et blanc de Raoul Coutard. Un parfait mélange entre les images des films américains de Hitchcock ou Preminger, et l'expressionnisme allemand de Murnau ou Lang. La photographie évolue du noir des nuits parisienne vers le blanc éclatant de la neige du Sappey-en-Chartreuse, près de Grenoble. Ce contraste matérialise le parcours de Charlie, qui recouvre petit à petit sa véritable identité pour se confronter de nouveau à la lumière du présent.

Hugues Porquier, mk2 Curiosity
  • L'avis d'Arnaud Desplechin
« Combien il m’aura fallu d’années, de décennies pour aimer le Pianiste ! C’est que je n’y comprenais rien. Je croyais que les films noirs français m’ennuyaient un peu. Et un jour, je me suis laissé emporter par cette vague d’inventions cinématographiques, Truffaut invente à chaque plan. Une leçon de liberté. « Le plus godardien des Truffaut », comme dit Nicolas Saada, et il a mille fois raison.
Un film noir ? Ce sont d’abord trois portraits admirables de femmes, Marie Dubois au plus haut, Michèle Mercier et son insolence formidable, Nicole Berger dévastée. Le charme d’Aznavour enfin, sa fragilité, ce gros plan du anti-héros à son piano droit : « J’ai peur… Oui, j’ai peur »

La preuve ? Marie Dubois et Aznavour marchent dans la rue la nuit, il voudrait lui prendre la main… Allons, encore une scène, une seule ! Plus tard, ils rejoindront la chambre de la jeune femme. Panoramique autour de la chambre, modestie, vaillance, la musique de Delerue. Enfin, les deux sont au lit. Montage insensé de leurs confidences dans les draps blancs, le temps semble sans limite. Beau à pleurer.

La virtuosité de Truffaut éblouit, c’est un film échevelé. Et pourtant il fut mal reçu à sa sortie, trop de changements de ton. Nous ne savons plus sur quel pied Truffaut nous fait danser. Il avait eu cette phrase stupéfiante : « Avec Le Pianiste, je voulais faire pleurer les femmes et rire les hommes ». Je ne sais pas si je ris encore aujourd’hui, mais je me découvre dans la timidité de son héros. Je voudrais savoir ôter la culpabilité de ses épaules. Rien à faire, après un début de fantaisie, le film courra au mélodrame.

Ces jours derniers où je révisais le film, j’ai été sidéré. Une affaire, le film dont je viens de terminer le tournage à Lyon avec François Civil, Nadia Tereszkiewicz et Charlotte Rampling, est une histoire de pianistes. Non ?! J’avais donc été hanté si longtemps à mon insu par le pianiste de Truffaut ?! Je n’en revenais pas ! »
  • Derrière la caméra
Mort à 52 ans, le cinéaste François Truffaut (1932-1984), figure majeure de la Nouvelle Vague, a pourtant eu le temps de marquer les mémoires. D'abord critique de films, ils se lance ensuite dans la réalisation. "Les Quatre Cents Coups" (1959), "Jules et Jim" (1962), "La sirène du Mississipi" (1969), "Le dernier métro" (1980)... La plupart de ses films deviendront des classiques. Truffaut, c'est 30 ans de carrière, débutée avec un premier court métrage en 1954, et achevée avec "Vivement dimanche", sorti en 1983. 26 films, 6 collaborations avec Jean-Pierre Léaud pour les formidables aventures d’Antoine Doinel, 7 Césars et même un Oscar.