CLOSE-UP SUR CLÉMENT COGITORE

Multiprimé pour ses installations vidéos et photographiques, Clément Cogitore est l'un des artistes contemporains incontournables de sa génération. C'est aussi un réalisateur de talent, qui s'est notamment distingué avec le documentaire Braguino, César du meilleur court-métrage en 2019. À l'occasion de la sortie de son nouveau film Goutte d'Or sélectionné à la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, on vous propose de découvrir deux des ses courts-métrages, “Parmi Nous” et “Un Archipel” (2011). Nous l'avons aussi interrogé sur la façon dont ses films aux thématiques sociales fortes dialoguent avec ses autres créations.

Interview : Dans votre nouveau long-métrage "Goutte d'or" (sorti le 1er mars), le personnage incarné par Karim Leklou se retrouve confronté à une bande de "mineurs isolés" originaires de Tanger. Dans votre court-métrage "Parmi nous" (2011), on suit un clandestin kurde qui tente de rejoindre l'Angleterre depuis la France. Qu'est-ce qui vous pousse à vous intéresser de si près à la question migratoire et au sort de ces individus en errance ? Y-a-t-il eu un événement déclencheur ?

Pour Parmi Nous, j’étudiais au Fresnoy-Studio national des arts contemporains, dans le nord de la France. Nicolas Sarokzy venait de fermer le camp de Sangatte qui, bien que surpeuplé et insuffisant, était le dernier lieu d’accueil et de soins dans le Nord pour les migrants qui tentaient de passer la frontière vers l’Angleterre. Quand on se rapprochait de la côte, le soir, les forêts étaient parcourues de silhouettes errantes qui cherchaient à embarquer dans les camions. Et des campements de fortune apparaissaient ça et là dans la forêt, pour former peu à peu ce que les migrants ont eux-mêmes nommé plus tard « la jungle ».

Pour « Goutte d’Or » j’ai habité dans le quartier il y a assez longtemps, avec l’envie un jour de le filmer. Quand j’ai commencé à écrire, en 2016, le quartier était bousculé par l’arrivée de ces « mineurs isolés étrangers », issus des rues de Tanger avec qui ni les associations, ni les éducateurs ne parvenaient à créer véritablement de lien stable et à les protéger (et encore moins la police...). Ils s’étaient installés dans le square Bashung. Ca a duré quelques années, ils étaient là surtout l'été, avec des groupes assez mobiles, qui traversaient l’Europe et le quartier de la Goutte d’or était une des étapes.

Dans les deux cas j’ai été confronté à ces trajectoires déracinées et errantes, et les personnages sont apparus ainsi dans les scénarios.

En vous intéressant à une partie du parcours de ces clandestins, vous les faites exister individuellement, comme pour briser cette représentation floue et inhumaine induite par l'expression "flux migratoires". Pourtant, dans "Parmi nous", les personnages ne sont jamais nommés. Et dans "Goutte d'or", les "mineurs isolés" cachent leur vrai nom pour se protéger. Est-ce à dire qu'en quittant leur terre natale, ces individus perdent forcément une partie de leur identité ?

Le fait de révéler son identité dans ce type de situation précaire est toujours un risque d’être identifié par les forces de police, d’être fiché, reconduit, etc… donc c’est à éviter absolument pour tous les migrants en situation irrégulière. Il y a eu plusieurs films dont celui de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval qui ont montré à quel point ce processus de dissimulation était poussé, et qu’il s’agissait pour certain d’aller jusqu’à détruire leurs empreintes digitales. Dans « Goutte d’or » il s’agit non seulement d’échapper aux forces de l’ordre mais aussi de se construire une autre identité, fictive, qui permet à chacun de raconter quelque chose de lui.

Sur ce sujet délicat, certains seraient tentés de rester collés constamment au réel. Ce n'est pas votre cas puisque ces deux films laissent de la place aux chimères, à la croyance et au mysticisme. Pourquoi cette dimension magique (ou cauchemardesque) est-elle si présente ?

La croyance est une part essentielle de l’expérience humaine, elle intègre une part d’irrationnel et transforme notre rapport au réel. Elle ouvre des brèches vers l’incertitude, l'irrésolution. C’est quelque chose qui traverse tout mon travail. Pour ces deux films en particulier, cela complexifie les trajectoires des personnages et fait aussi qu’ils ne se limitent pas à des incarnations d’un phénomène social et politique.

Sur cette thématique, y a-t-il un film pas forcément très connu ou une curiosité qui vous a marqué et que vous recommanderiez ?

« L’Exil et le Royaume » de Andrei Schtakleff et Jonathan Le Fourn, et « l’Héroïque Lande » de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval.

Propos recueillis par Tristan Brossat

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