LE RENDEZ-VOUS CRISTÈLE ALVES MEIRA

LE RENDEZ-VOUS CRISTÈLE ALVES MEIRA

À l’occasion de la sortie de son premier long métrage “Alma Viva”, rencontre avec la réalisatrice Cristèle Alves Meira que nous avons interrogée sur ce film saisissant. On vous propose également ses courts métrages et une sélection de films choisis par la cinéaste franco-portugaise.

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  • L'interview

[mk2 Curiosity] La figure de la sorcière a connu de nombreuses interprétations au cours des âges : récemment, c’est tout un courant féministe qui se la réapproprie. Quel rapport entretenez-vous à cette figure et la mythologie qui l’accompagne ?

[C.AM] Mon rapport à la sorcellerie est éminemment lié à ma culture, à l’univers mystique dans lequel j’ai grandi : dans ma famille, notamment maternelle, on croyait aux esprits et au pouvoir des plantes. J’ai voulu raconter ces pratiques qui échappent à la science et la raison : le don de médiumnité, le contact avec les morts et les invisibles, les vivants qui vivent avec les morts, les morts qui reviennent hanter les vivants... J’ai aussi réalisé ce film pour réhabiliter le lieu d’origine de ma mère, dans toute sa dimension triviale, et pour en finir avec le sentiment de honte qu’elle a souvent ressenti. Car en posant son regard sur les choses, le cinéma les sublime : avec un cadre, une lumière, d’un coup, il se passe quelque chose.

[mk2 Curiosity] Les pratiques de sorcellerie de la grand-mère de Salomé, qui lui valent attaques et critiques des autres villageois, semblent parfois n’être qu’un prétexte : ce qui choque le plus autour d’elle, c’est son mode de vie libre, autonome, indépendant…

[C.AM] Cette grand-mère vient d’une génération conservatrice, représentative d’une société portugaise encore très patriarcale. Elle, au contraire, assume sa sensualité, sa féminité, sa liberté (elle a trompé son mari et ne s’en cache pas) et son lien à des forces invisibles lui donne une forme de pouvoir de vie et de mort sur le reste de sa communauté ! Elle s’épanouit dans cette transgressivité, et c’est cela qui fascine. Salomé aussi, transgresse : elle se confronte à sa part d’ombre, ce qui dérange, et se rapproche de ce fait d’héroïnes de fables et de contes. Je souhaitais réveiller cette poétique de la spiritualité, interroger cette question du « mal », ces croyances taboues, bousculer les esprits, investir ce champ intime et politique qui fait encore si peur… Et au-delà de ça, interroger notre rapport à la mort. La manière dont on s’y confronte en dit long sur nos sociétés contemporaines qui ont tendance à écarter le tragique et toute forme de rituel, à nier notre finitude. Dans sa forme à la fois réaliste et surnaturelle, mon film est une sorte de fable qui questionne ce besoin de rituel, inhérent à l’humanité.

[mk2 Curiosity] “Alma Viva” pourrait appartenir à plusieurs catégories de genre : cinéma d’apprentissage, fantastique, ésotérique, naturaliste, féministe… C’est un peu tout cela à la fois ?

[C.AM] Le terme « ésotérique » me plaît car je souhaitais effectivement aller chercher du côté des croyances secrètes. “Alma Viva” est à la fois un film naturaliste et surnaturel, il transcende ces catégories qui lui correspondent toutes. Il n’a d’ailleurs pas été simple de convaincre de financer le projet : ce mélange de tons et genres, ce glissement d’un territoire à l’autre, cette porosité des frontières déstabilisait… Mais il est aussi rassurant de ne pas rentrer dans les cases, de chercher un cinéma qui dépasse les apparences. Et ce sont les différentes couches de niveaux de lecture qui donnent toute son épaisseur à un film, que le spectateur est ensuite libre de s’approprier à sa guise.

[mk2 Curiosity] Parmi les films du catalogue mk2 Curiosity que vous avez sélectionné et qu’on peut retrouver ci-dessous, lequel est votre préféré ?

[C.AM] C’est “Ten” d’Abbas Kiarostami, un réalisateur qui compte beaucoup pour moi. Ses films s’ancrent dans une réalité, dans des situations d’apparences ordinaires avec une mise en scène qui laisse place à l’imprévu, à ce qui échappe au contrôle, aux hors-champs surtout. Malgré le huis clos de la voiture, on ressent dans “Ten” l’énergie de Téhéran. Les silences sont pleins des préoccupations de ces femmes iraniennes contestataires qui nous invitent à voir au-delà des apparences.

Propos recueillis par Copélia Mainardi, journaliste, TROISCOULEURS

Bande-annonce :