LE RENDEZ VOUS KAOUTHER BEN HANIA

LE RENDEZ VOUS KAOUTHER BEN HANIA

Documentaire puissant qui réinvente les codes du genre, Les Filles d’Olfa, présenté en compétition cette année au Festival de Cannes, vient de sortir en salles. Vu qu’on l’adore, on lui a décerné le label mk2 Curiosity, et on a invité sa réalisatrice tunisienne, Kaouther Ben Hania, pour deux belles semaines Elle nous offre son film La Belle et la Meute (2017), à voir gratuitement pendant 7 jours. Un thriller coup de poing en plans-séquences sur la terrible nuit d’une jeune femme qui tente de porter plainte après avoir été violée par des policiers. La cinéaste a également sélectionné pour vous ses films préférés de notre catalogue.
  • L'interview
mk2 Curiosity : L'histoire d'Olfa Hamrouni a fait le tour des médias tunisiens en 2016. Comment vous est venue l'idée de la porter à l'écran ? 

Kaouther Ben Hania : J'ai tout de suite eu envie d'en faire un film. Je ne savais pas lequel, mais le personnage d'Olfa était fascinant, et je trouvais la thématique mère-fille intéressante. À ce moment-là, elle était presque lynchée, on la traitait de monstre, ses filles de démons. Il y avait chez elle une lassitude de ne pas être crue. Il a donc fallu lui expliquer ma démarche, lui dire que je voulais simplement faire connaissance, que je n'allais pas filmer avant de «trouver» le film. Cela a créé un début de relation de confiance. Avec Olfa et ses filles, on est devenues presque intimes.

mk2 Curiosity : Votre film La Belle et la Meute (2017) a été tourné avec beaucoup de plans séquences. Dans L'Homme qui a vendu sa peau, il y avait une volonté de représenter des corps comme des œuvres d'art. L'expérimentation formelle est-elle un moteur de votre travail ?

K. BH. : Je me pose toujours la question de savoir si je peux filmer autrement qu'avec un champ-contrechamp. La différence entre la fiction et le documentaire, c'est que la fiction coûte beaucoup plus cher. Je ne peux pas me payer le luxe d'expérimenter en plateau, il faut que j'aie effectué cette recherche formelle en amont. Pour un documentaire, je peux me permettre de cher-cher en filmant, de tout changer le jour du tournage. Et ce que j'apprends dans le documentaire, je l'utilise dans la fiction.


mk2 Curiosity : Quels documentaires vous ont inspirée ?

K. BH. : Close-Up d'Abbas Kiarostami a été décisif [sorti en 1991, le film, entre fiction et documentaire, met en scène l'histoire vraie d'un cinéphile se faisant passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf, puis relate son procès, ndlr]. Mais j'ai commencé moi-même avec des documentaires. Mon premier film de fiction, Le Challat de Tunis [2015, ndlr], était même un faux documentaire. C'est l'accumulation de toutes ces expériences qui m'a permis de faire Les Filles d'Olfa. Ça m'a donné une espèce de maturité pour me lancer dans un dispositif complexe, que je devais ensuite rendre fluide, presque organique.

mk2 Curiosity : Avec Les Filles d'Olfa, vous parlez aussi de la montée de l'islamisme. Le cinéma est-il toujours politique ? 

K. BH. : Oui, je pense, même si on prétend le contraire. Moi, c'est assumé. Le pouvoir, les rapports de domination, sont une matière très intéressante et une perspective par laquelle je vois le monde. Ce n'est pas de l'idéologie, mais je pense que tout est politique.
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Propos recueillis par Margaux Baralon, TROISCOULEURS