LE RENDEZ-VOUS NICOLAS PHILIBERT
Son nouveau long métrage, “Sur l’Adamant”, Ours d’Or au dernier Festival de Berlin, part à la rencontre des curieux passagers d’une péniche amarrée dans le 12ème arrondissement de Paris, qui héberge un centre de jour pour personnes souffrant de troubles psychiques. Nicolas Philibert, qu’on est ravi d’accueillir ici, nous a parlé de cette belle immersion et d’un autre de ses films, “La Moindre des choses” (1997), qui explore lui-aussi la frontière entre folie et normalité à la clinique psychiatrique de La Borde dans le Loir-et-Cher. Après avoir découvert ce documentaire la semaine dernière, on vous propose de prolonger gratuitement l’expérience avec L’invisible (2002), passionnant entretien avec Jean Oury, fondateur et directeur de cet établissement hors du commun, et Y a quelqu’un ? (2008), échange avec Linda de Zitter, psychologue clinicienne, psychanalyste et soignante à La Borde dans les années 1990. Cerise sur le bateau, le cinéaste a sélectionné pour nous ses films préférés de notre catalogue.
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- L'interview
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[mk2 Curiosity] “Sur l’Adamant” est le premier volet d’une trilogie sur les soins en psychiatrie et les rapports entre soignants et patients. Comment est né ce projet ?
[Nicolas Philibert] J’appelle plutôt ça un triptyque. Les trois films vont être tout à fait indépendants, même s’ils sont tous les trois tournés au sein du pôle psychiatrique Paris-Centre. On pourra les voir dans l’ordre, dans le désordre, n’en voir qu’un. Mon idée de départ, c’était un film sur l’Adamant, c’est tout. Pendant que je tournais, j’ai eu envie de rendre visite à des patients hospitalisés. Ces visites à l’hôpital se sont petit-à-petit transformées en repérages, et au bout d’un certain temps, j’ai eu l’idée de faire un second film [en cours de montage, il s’intitulera “Averroès et Rosa Parks”, ndlr]. Dans la foulée, j’ai aussi filmé des soignants un peu bricoleurs chez des patients démunis face à un problème domestique. Ces quelques visites ont constitué un troisième film [qui n’a pas de titre et n’est pas encore monté, ndlr]. On retrouvera dans les deuxième et troisième films quelques-uns des personnages qu’on aura vus dans “Sur l’Adamant” et d’autres que l’on va découvrir à l’hôpital.
[mk2 Curiosity] Dans les dernières minutes de “La Moindre des choses”, votre documentaire sorti en 1997 qui suit les répétitions d’une représentation théâtrale au sein de la clinique psychiatrique de La Borde dans le Loir-et-Cher, un patient vous dit : “On est entre nous et vous êtes entre nous aussi maintenant.” Votre intégration semble tout aussi réussie sur l’Adamant.
[N.P] C’est une phrase magnifique. Ça raconte que nous sommes accueillis par les patients. Mais je vois qu’au-delà de ça, c’est une façon de dire que l’on fait partie du même monde, que l’on a quelque chose en commun. C’est une manière au fond d’abattre cette prétendue frontière que certains veulent à tout prix ériger entre les gens qui seraient soi-disant normaux et ceux qui ne le seraient pas. L’Adamant, comme la clinique de La Borde, sont des lieux où il n’y a pas de signes distinctifs qui permettent de reconnaître d’emblée qui est patient, qui ne l’est pas. Il n’y a pas de blouse blanche. Ce sont des lieux où les patients ne sont pas uniquement regardés à travers leurs symptômes et leur maladie.
[mk2 Curiosity] Dans votre mise en scène, cela se traduit par davantage de conversations face caméra avec les patients, se confiant sur leurs problèmes quotidiens.
[N.P] Quand j’ai tourné “La Moindre des choses”, je me suis beaucoup appuyé sur l’élaboration d’un spectacle de théâtre et qui m’a servi de fil conducteur. Là, je suis parti un peu de façon plus libre, avec la volonté de me laisser aller au quotidien, sans m’accrocher à l’idée qu’il faudrait un message. Plus j’avance, plus j’aime improviser et plus l’improvisation est pour moi quelque chose de nécessaire dans ce que ça implique pour la relation avec les personnes qu’on vient filmer. C’est-à-dire se mettre dans un état de disponibilité, laisser aux vestiaires toute intention trop marquée.
[mk2 Curiosity] Le film sort près de deux mois après avoir remporté l’Ours d’or à Berlin. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
[N.P] D’abord, sur le plan personnel, c’est une fierté, un honneur, la reconnaissance d’un parcours [connu pour son approche sans a priori et pleine d’écoute, Nicolas Philibert s’infiltre dans des lieux variés tels qu’une école dans “Être et avoir”, une ménagerie dans “Nénette” ou encore la Maison de la Radio, dans le film éponyme, ndlr]. Mais au-delà de moi, c’est soudain une belle place qui est réservée à un documentaire, et ça vaut pour l’ensemble du documentaire d’une certaine manière. Ce prix a une portée plus large, il défend une façon de faire du cinéma, artisanale, fragile, modeste. Un cinéma à l’échelle humaine, tourné dans une économie relativement restreinte. Et puis je me dis que si ça peut avoir un petit impact dans le champ de la psychiatrie, c’est bien aussi.
[mk2 Curiosity] Pour finir, avez-vous dernièrement découvert une curiosité cinématographique que vous nous conseilleriez ?
[N.P] Un film tourné par Dominique Cabrera, qui s’appelle “Bonjour monsieur Comolli” [le film a été présenté pour la première fois Cinéma du réel 2023, ndlr] sur Jean-Louis Comolli, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, devenu cinéaste, qui nous a laissé une bonne cinquantaine de films, fictions et documentaires. Malade, il est accueilli chez elle, ils parlent ensemble, il a une pensée toujours extrêmement vive. C’est un film très généreux, très beau, très libre. _
Propos recueillis par Éléonore Houée, journaliste, TROISCOULEURS
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