LE RENDEZ-VOUS SOPHIE LETOURNEUR

LE RENDEZ-VOUS SOPHIE LETOURNEUR

Après avoir fait valdinguer les tabous autour de la maternité dans “Enorme”, l’impudente et drôle Sophie Letourneur nous embarque pour une virée sicilienne savoureuse et décalée en compagnie de Philippe Katerine dans son nouveau long-métrage "Voyages en Italie" (en salles le 29 mars). Pour fêter ça, la réalisatrice débarque pour deux semaines sur la planète mk2 Curiosity avec plein de surprises : sa formidable épopée bretonne faite de virées nocturnes avec sa pote Laetitia (“Le Marin masqué”, 2012), un entretien où elle nous apprend que la nonchalance est le contraire de la désinvolture, et une sélection de se films préférés à voir sur mk2 Curiosity.

DÉCOUVREZ CI-DESSOUS SA SÉLECTION DE FILMS

[ mk2 Curiosity ] : Vos films brouillent constamment la frontière entre documentaire et fiction. Ceux dans lesquels vous choisissez d’incarner vous-même le personnage principal sont-ils les plus autobiographiques ?

[ Sophie Letourneur ] : D'un côté, on peut dire ça. Mais disons que ceux dans lesquels j'ai fini par décider de jouer moi-même sont une version burlesque, stylisée et décalée de moments de ma vie. Finalement, le film le plus naturaliste et dans le fond le plus proche des moments réellement vécus, c'est sans doute La Vie au Ranch, que j'ai fait avec des acteurs.

[ mk2 ] : Vos personnages et la construction souvent abrupte de ces récits dégagent une impression de nonchalance, qui rend vos films si uniques et attachants. Pour aboutir à ce résultat, on imagine que votre travail de cinéaste doit être au contraire, à tous les stades de la création, extrêmement précis, loin de cette désinvolture apparente…

[ S.L. ] : Je travaille de façon très obsessionnelle et méticuleuse. Le plus souvent, à partir d'un séquencier basé sur du matériau autobiographique et de la documentation. Jétablis un "planning des repets’" avec Laetitia Goffi qui travaille avec moi sur toutes les étapes du film. Pendant ces repets’ on enregistre des heures d'impro pour chaque séquence, avec parfois plusieurs intervenants pour un même personnage. Tout dépend du dispositif du film. Puis je monte la bande-son de chaque séquence dans lesquels je réécris les dialogues à la virgule près, comme une partition. Parfois, avec les textes définitifs, on part faire la maquette/repérage du film, avec tous les plans, tous les lieux. Une sorte de brouillon du film que je monte et qui me permet de resserrer encore pour avoir une sorte de story board hyper précis.

[ mk2 ] Comment dirigez-vous vos acteurs pour qu’ils paraissent si naturels ?

[ S.L. Je les dirige de façon très précise, encore plus quand ce ne sont pas eux qui ont fait les "repets’". Pour “Le marin”, “Les coquillettes” ou “La vie au Ranch”, les repets’ ont été faites par les acteurs, donc c'est plus naturel de dire un texte qu'on a soi-même sorti naturellement.

[ mk2 ] D’où vous vient cette envie de placer le banal, les discussions triviales, l’anecdotique, au centre de vos films ?

[ S.L. ] Je ne trouve pas cela banal, la vie est bien plus puissante que les films et chaque détail, chaque seconde est précieuse. La banalité du récit et des formes fictionnelles traditionnelles au cinéma m'est parfois agréable mais souvent superflue.

[ mk2 ] : Ce n’est donc pas un rejet par rapport à certains films aux propos trop édifiants ?

[ S.L. ] Non pas du tout, je suis surtout sensible à la liberté dans les sujets, la forme, la recherche.

[ mk2 ] Dans Voyages en Italie, on retrouve un des procédés narratifs à l'œuvre dans Le marin masqué, avec les personnages qui commentent après coup leurs propres aventures. Pourquoi cette mise en abîme ?

[ S.L. ] Depuis les Arts déco, je travaille autour de la conversation et du lien que la parole crée entre les gens. Se raconter un moment, c'est comme le revivre et se gargariser de ce lien. Et puis j'ai une très mauvaise mémoire...

[ mk2 ] Le marin masqué et Voyages en Italie sont deux récits de vacances. Filmer ces aventures, c’est aussi une façon de fixer pour l’éternité des souvenirs précieux de voyages que vous avez vécus ?

[ S.L.] Je pense qu'un des moteurs de mon travail c'est cette illusion de pouvoir convoquer, maîtriser et reconstituer des moments passés. Et l'avantage narratif d'un voyage c'est qu'il y a un début et une fin.

[ mk2 ] On sent également beaucoup d’autodérision dans vos films…

[ S.L. ] Oui je me moque beaucoup de moi même. J'aime bien ne pas me prendre au sérieux tout en restant très radicale sur la forme.

Propos recueillis par Tristant Brossat