La Quinzaine des réalisateurs devient cette année la Quinzaine des cinéastes. Qu’est-ce qui a motivé ce changement de nom ?

C’est la SRF qui a pris cette décision quand je suis arrivé, mais ça correspondait au projet que j’avais. Cette idée est je pense venue d’un désir d’inclusivité, ce qui rejoint ma politique d’absence de quotas : je considère tout cinéaste comme un individu avec son langage propre. Les quotas, c’est une façon très américaine de voir les choses. Ça veut dire qu’on ne considère pas les œuvres pour ce qu’elles sont.

LE RENDEZ-VOUS | LA QUINZAINE PRÉSENTE SES MONDES PARALLÈLES

Le délégué général Julien Rejl et son comité de sélection ont choisi pour nous leurs films préférés de l’histoire de la Quinzaine des cinéastes, section parallèle du Festival de Cannes créée après Mai 68 par des cinéastes frondeurs.

Toutes sélections cannoises confondues, il y a une grande majorité d’hommes derrière la caméra. Comment expliquez-vous ce blocage ?

Cette année, à la Quinzaine, nous comptons cinq longs métrages réalisés par des femmes, contre quatorze réalisés par des hommes et un coréalisé par une femme et un homme. La proportion de femmes est un peu plus élevée pour les courts, avec quatre films réalisés par une femme, contre six par des hommes. On peut donc s’attendre à ce que la courbe s’inverse. Car si ça commence à bouger dans le court métrage, ça veut dire qu’il est possible qu’à l’avenir ça augmente aussi dans le long métrage. Maintenant, sur ce blocage, en discutant avec des membres de mon comité de sélection qui sont très impliqués sur cette question de parité, on s’est dit que les cinéastes femmes se disent peut-être qu’elles ont moins de chance. C’est une hypothèse parmi d’autres. Et, si c’est ça, j’espère que nos choix – dont celui de présenter plusieurs premiers films réalisés par des femmes [“The Feeling That the Time for Doing Something Has Passed” de l’Américaine Joanna Arnow, “Blackbird Blackbird Blackberry” de la Géorgienne Elene Naveriani ou “Mambar Pierrette” de la Belgo-Camerounaise Rosine Mbakam, ndlr] –, mais aussi les sujets que les films abordent, enverront un signal fort pour que plus personne ne s’autocensure.

On sait peu de choses sur vous. Où et dans quel milieu avez-vous grandi ?

Je suis né au début des années 1980, dans une banlieue pavillonnaire du nord de la France, entre Hénin-­Beaumont et Douai. Je viens d’un milieu ouvrier très populaire, dans une famille pas vraiment cinéphile, si ce n’est mon père qui regardait des westerns, notamment ceux de John Ford. Là où on vivait, il n’y avait quasiment pas de cinéma art et essai. Les multiplexes sont arrivés à la fin des années 1990, et il y avait un vidéo-club près de chez moi. J’ai découvert grâce à ça le cinéma de genre américain des années 1980-1990. Et j’ai lu très tôt de la critique. Mais, quand je suis arrivé à Paris en 2002 après une prépa, je suis parti faire, pour des raisons sans doute liées à ma condition sociale d’origine, une grande école de commerce, ce qui était pour moi l’enfer. En parallèle, j’ai fait des études de philo, et j’ai découvert la psychanalyse. J’ai commencé à travailler dans d’autres secteurs, parce que je n’avais pas un rond. J’ai appris l’existence d’un concours à La Fémis pour être distributeur-­exploitant, alors que je n’avais jamais eu la velléité de devenir l’un ou l’autre. Je l’ai eu, et à partir de là j’ai saisi les opportunités qui se sont présentées.


Propos recueillis par Joséphine Leroy, journaliste, TROISCOULEURS