- LES AMOURS IMAGINAIRES
- XAVIER DOLAN
- “Ce film a marqué pour moi la découverte d'un auteur fascinant, soigné, sensuel, expérimental, plein d'amour et de rage, au langage cinématographique délicat et percutant. Il raconte comment l'amitié entre deux amis, Marie et Francis, est bouleversée par l'apparition dans le village d'un beau jeune homme, qu'ils désirent tous les deux. Comme Francis et Marie, qui tombent amoureux du beau Nick, j'ai le sentiment d'être moi-même tombée amoureuse de la beauté des images que Dolan construit pour entrer dans les tourments de la psychologie des personnages. J’ai vu en Dolan un jeune cinéaste capable d’aborder les sujets brûlants de notre génération”. Estibaliz Urresola Solaguren
INTERVIEW
mk2 Curiosity : Comment est née l'envie d'écrire un personnage de jeune fille trans de 8 ans?
Estibaliz Urresola Solaguren : En 2018, au Pays basque, un jeune garçon trans de 16 ans s’est suicidé, et cela a eu un énorme impact sur toute la société basque. Cela a été un moment de réveil parce que personne n’évoquait les enfants ou les ados transgenres. Personne ne concevait même que ça existe. Il a laissé une lettre d’adieu qui expliquait qu’il se suicidait pour apporter de la visibilité aux personnes et aux enfants dans sa situation. Des familles témoignaient à la télévision, partageaient leurs expériences, c’était vraiment le début de quelque chose. Je suis, depuis longtemps, sensible au sujet du genre, et j’ai voulu participer à ce mouvement. Je me suis interrogée sur ce que pouvaient vivre les familles dans cette situation, comment elles accompagnaient leurs enfants avec si peu d’informations. Je me suis rapprochée d’une association de parents d’enfants trans et j’ai commencé à mener des recherches documentaires, des rencontres, des interviews.
mk2 Curiosity : Aviez-vous des images, des films en tête? Quelles étaient vos références sur ce sujet si rarement traité ?
E.U.S. : Je voulais savoir ce qui avait été fait avant, notamment dans le champ de la fiction, pour être sûre que mon approche apporte quelque chose d’inédit au débat. Je n’ai pas trouvé grand-chose, mais il y a Tomboy (2011) de Céline Sciamma qui était très courageux sur le sujet, le film Girl (2018) de Lukas Dhont, un autre film belge plus ancien, Ma vie en rose (1997) d’Alain Berliner et le film américain A Kid Like Jake (2018) de Silas Howard, avec la star de la série The Big Bang Theory, Jim Parsons, qui se concentre sur l’expérience vécue par les parents. [...]
mk2 Curiosity. : Le casting est une étape-clé pour mettre en scène un personnage de jeune fille trans. Quelles règles vous étiez-vous fixées?
E.U.S. : Le casting pour ce rôle ressemblait à une lettre adressée au Père Noël : je rêvais de rencontrer une jeune fille trans entre 8 et 10 ans, qui parle basque, et qui soit avant tout une immense actrice parce qu’il fallait que l’empathie du public soit immédiate, qu’il soit puissamment connecté à elle. Le principe du casting a été de ne rencontrer que des petites filles, trans ou cisgenres. Il fallait que je puisse lui dire : « Imagine que le monde entier ne te regarde pas comme une fille, ne te traite pas comme une fille, comment réagirais-tu ? » Ne serait-ce qu’idéologiquement il était impossible de prendre un garçon qui aurait joué une fille. Il fallait être une fille pour le rôle puisque les filles trans sont des filles et pas des garçons qui jouent à être des filles.
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propos recueillis par Franck Finance-Madureira pour TROISCOULEURS